Le déficit commercial – un mal français ?
Les élections présidentielles se tiendront dans quelques mois en France et l’on peut être certain que les candidats vont user de leur rhétorique dramatique habituelle pour décrire l’économie française. On entendra des mots comme « déclassement économique », « manque de compétitivité », « manque de réformes », etc. Il n’est pas risqué de parier que le déficit commercial français va être mis en avant pour illustrer ce discours décliniste.
Et pourtant … Notre rôle n’est pas de nous positionner par rapport à ce débat mais de rappeler quelques faits sur la balance commerciale, rappeler ce que représente un déficit et ce que l’on peut en conclure.
Diagnostic
La balance commerciale est le solde entre les exportations et les importations de biens. Notons que les services peuvent également être comptabilisés dans la balance mais en France, par défaut, l’appellation « balance commerciale » ne concerne que les biens.
La France présente un déficit du solde extérieur depuis une quinzaine d’années. En 2021 il devrait représenter à peu près 2% du PIB (19% pour les exportations et 21% pour les importations).
Sur le site vie-publique.fr réalisé par la DILA (Direction de l’information légale et administrative), direction rattachée aux services du Premier ministre, on peut trouver le commentaire suivant :
Il est assez incroyable de lire ces explications. Cela montre à quel point il est ancré chez de nombreux observateurs qu’un déficit commercial illustre une faiblesse économique et notamment un manque de compétitivité.
Les autres pays européens
Avant de rentrer dans l’analyse, prenons quelques instants pour regarder au-delà des frontières, voir si nos voisins font mieux. Et si la compétitivité est l’argument clé, on doit pouvoir facilement deviner quel pays présente un déficit et quel pays présente un excédent de sa balance commerciale.
…
Nous avons des doutes sur l’existence de sites similaires à vie-publique.fr au Royaume-Uni et en Italie qui diraient que le Royaume-Uni souffre également de compétitivité et que l’Italie est un modèle en la matière …
L’argument des coûts salariaux élevés qui grèveraient la compétitivité est certainement le plus farfelu de tous. Il n’a aucun fondement même s’il est également souvent utilisé pour expliquer le niveau élevé du chômage. La réalité est tout autre. Si le niveau des salaires était déterminant dans la compétitivité, alors en Europe la Grèce et le Portugal seraient des champions à l’exportation et la Suisse et la Suède seraient bons derniers. On en est très loin.
Le solde de la balance commerciale est plus complexe à appréhender. Il résulte d’une combinaison de facteurs micro et macro. En termes de microéconomie, ce sont par exemple les choix des entreprises de produire localement ou non qui peuvent influencer le solde. En termes macroéconomique, un pays avec une plus forte croissance de la consommation (plus forte croissance des revenus que ses partenaires commerciaux) entrainera, toutes choses égales par ailleurs, un déficit commercial. Typiquement, le passage de la balance commerciale italienne en territoire positif après 2011 ne correspond pas à une compétitivité retrouvée mais simplement à un effondrement de la demande interne due à la crise de l’euro et la récession qui a suivi. Les importations italiennes ont baissé de 17% entre 2011 et 2014 alors que dans le même temps les exportations ont augmenté de plus de 10%.
France – les raisons fondamentales
La première explication évidente du déficit de la balance commerciale française est que, bien que nous ayons beaucoup d’idées, nous n’avons pas de pétrole. Les notions de compétitivité sont donc peu pertinentes ici : tant que notre consommation de pétrole sera celle qu’elle est aujourd’hui, cette partie du déficit ne pourra être adressée.
La deuxième explication est présentée sur le graphique ci-après.
Une partie importante du déficit vient du secteur des biens de consommation manufacturés. Il semblerait que les smartphones, les jouets, les luminaires, les habits ou les lave-vaisselles que nous achetons ne sont pas fabriqués en France.
Le sujet de la compétitivité est plus pertinent ici. Pourquoi les sneakers sont-elles fabriquées en Indonésie et en Chine et pas aux Etats-Unis ou en France ? Il est possible que les coûts salariaux soient un des facteurs explicatifs mais ce n’est même pas évident. La structure de coût d’une paire de sneakers vendue 70 euros en magasin montre que le coût de la main d’œuvre est très faible, de quelques pourcentages (1 ou 2). Si l’on remonte l’histoire, Nike évoque bien l’intérêt d’une main d’œuvre moins chère pour fabriquer ses chaussures, mais également – et peut-être principalement – la proximité géographique avec les matières premières nécessaires à la fabrication.
Beaucoup de pays sont dans une situation similaire à celle de la France, ils importent de Chine les ordinateurs ou le mobilier de jardin qu’ils achètent et malgré tout, ne présentent pas pour autant de déficit commercial.
La raison est qu’ils ont d’autres secteurs qui compensent. La Suisse présente un excédent commercial grâce au secteur des produits de l’industrie de la chimie et la pharmacie.
Il est difficile de prétendre que le déficit français traduit une dégradation de la compétitivité des entreprises manufacturières françaises mais l’argument du manque de leadership dans certains secteurs est plus crédible.
France – le cas de l’automobile
La France a une forte expertise dans plusieurs secteurs et notamment l’aéronautique, les boissons ainsi que les parfums et cosmétiques. Mais ces secteurs ne sont pas assez excédentaires pour compenser le déficit des secteurs des biens de consommation durables.
Le mal français vient véritablement de deux secteurs : la métallurgie et l’automobile qui ont significativement dégradé la balance commerciale depuis plus de 10 ans. On pourrait mentionner également le secteur informatique et électronique mais on comprend que l’accentuation du déficit de ce secteur reflète avant tout la part croissante des dépenses de consommation pour ces produits technologiques.
Le graphique ci-dessus montre que le déficit du secteur textiles & habillement s’est stabilisé et s’est même amélioré depuis 2016 alors que ceux de l’automobile et de la métallurgie n’ont cessé de se dégrader.
Le cas du secteur de l’automobile est très intéressant car la France est, sans être chauvin, certainement le pays qui a inventé l’automobile à la fin du XIXème siècle. L’automobile a toujours été un marqueur pour l’économie française. Mais le poids du secteur auto dans l’économie est en baisse constante depuis les années 70, employant directement plus de 350 000 personnes en 1978 contre 171 000 aujourd’hui.
D’un point de vue du commerce extérieur le secteur a longtemps été excédentaire mais il est tombé dans le rouge à la fin des années 2000. Les délocalisations décidées par les constructeurs français n’ont jamais cessé et le basculement a donc eu lieu pour eux aux alentours de 2008/2009. Les équipementiers autos ont résisté plus longtemps et sont devenus déficitaires en 2016. Aujourd’hui c’est donc toute la filière qui contribue négativement au solde de la balance commerciale française.
Bien que les premières délocalisations aient été motivées par le moindre coût de la main d’œuvre en Espagne et dans les pays de l’Est de l’Europe, l’argument s’est rapidement estompé. Le coût de la main d’œuvre dans le coût total d’un véhicule est dépendant du modèle (entrée de gamme/haut de gamme) mais reste plutôt faible par rapport au coût des matières premières (acier, aluminium, caoutchouc), des composants électroniques, des équipements intérieurs et de l’amortissement des lignes automatisées de fabrication et d’assemblage. La raison des délocalisations a donc vite évolué vers l’opportunité de se rapprocher des marchés en croissance. Installer un site de production dans les pays émergents permet ainsi de vendre plus facilement des véhicules aux résidents.
La logique pour les équipementiers a été la même. Plutôt que de fournir seulement les constructeurs européens, l’opportunité pour Valéo de s’installer en Chine a bien été de servir les constructeurs chinois.
Ainsi, les acteurs français du secteur automobile se portent bien mais parce qu’ils ont délaissé la France, les données françaises relatives au secteur sont mauvaises. Quand Renault décide que la Clio V sera fabriquée en Turquie et en Slovénie en 2019, il en résulte un effet de ciseau immédiat : les ventes de Clio hors de France n’apparaissent plus dans les exportations mais les ventes en France entrainent une augmentation des importations, creusant irrémédiablement le déficit de la balance commerciale.
Il y a donc des choix microéconomiques qui ont de fortes conséquences macroéconomiques. Aussi, il est intéressant de constater que le secteur des remorques, caravanes, camping-cars et celui des bateaux a su maintenir sa production en France. Comment l’expliquer alors que l’on pourrait également penser que les entreprises françaises de ces secteurs auraient un intérêt à se rapprocher de ses clients étrangers ?
Deux éléments sont à noter : 1) dans l’automobile la délocalisation concerne surtout les petits véhicules (la 208 est fabriquée au Maroc et en Slovaquie mais la 5008 est produite à Rennes et la DS7 à Mulhouse) qui sont moins margés et pour lesquels quelques centaines d’euros gagnés font la différence. 2) vie-publique.fr a partiellement raison d’évoquer les PME. Non pas qu’il manque de PME en France (c’est un argument douteux¹) mais il est certain que les délocalisations sont surtout opérées par les grands groupes.
Ainsi, dans le secteur du nautisme ou des camping-cars, les prix de vente moyens sont assez élevés et à l’exception des deux leaders (respectivement Bénéteau et Trigano) les acteurs sont des PME. Ceci pourrait expliquer pourquoi la France a su garder les sites de production de ces deux secteurs sur son territoire.
France – le cas de la métallurgie
Le secteur de la métallurgie, autre gros contributeur au déficit commercial français, offre une histoire assez similaire. D’ailleurs le secteur autos est le 2ème client du secteur métallurgique derrière la construction. L’intérêt des groupes métallurgiques pour la délocalisation est compréhensible. Si l’on étudie le premier acteur français – ArcelorMittal – on constate qu’il n’extrait quasiment pas de minerai de fer en Europe (seulement en Bosnie Herzégovine) mais en Amérique et en Asie centrale (Kazakhstan). Que les sites de production quittent la France pour se rapprocher à la fois des mines d’extraction de minerai de fer et des clients, n’est pas dénué de sens.
Aussi, comme le montre le graphique ci-dessous, le secteur a toujours souffert de surproduction structurelle. Alors que la concurrence dans les pays émergents s’organisait, la délocalisation a été une réponse des groupes français à cette double problématique.
Enfin, le déficit commercial du secteur de la métallurgie ne vient pas véritablement du sous-secteur sidérurgie mais des sous-secteurs « métaux non-ferreux » et « quincaillerie ». Le premier épouse la même logique que le secteur des hydrocarbures et le second serait à rapprocher de celui des jouets (produits durables de consommation à faible valeur ajoutée qui peuvent être externalisés).
Conclusion
Il serait très réducteur d’expliquer la dégradation du commerce extérieur français par un manque de compétitivité. L’Italie est, répétons-le, un bon contre-exemple. Nous comprenons que le sujet est complexe et qu’il combine des facteurs macro (une bonne tenue de la demande domestique) mais surtout de nombreux facteurs microéconomiques.
Il est certain que la spécialisation sectorielle française a été un atout pendant de nombreuses années mais que depuis 15 ans celle-ci l’a desservie. Est-ce mal pour autant ? Est-ce que le déficit commercial créé du chômage ? Est-ce que le déficit commercial entraine un appauvrissement des citoyens ? Evidemment non. La France a un taux de chômage inférieur à celui de l’Italie et de la Suède. Les Etats-Unis, peut-être le pays le plus riche du monde, connu pour la flexibilité de son économie présente le plus gros déficit commercial au monde et le vit très bien (faible taux de chômage, croissance forte).
Pour conclure, le solde extérieur d’un pays n’est pas un indicateur de la santé de son économie mais reflète avant tout des choix microéconomiques et/ou des stratégies macro-économiques (cas de la Chine par exemple). L’argument de la compétitivité est très fragile et n’explique qu’à la marge les positions relatives des pays. La production de matières premières peut en revanche être un fort facteur explicatif (cas de la Norvège, de la Russie et de l’Australie par exemple).
Le sujet est toutefois intéressant du point de vue écologique. Si la performance d’une économie n’est plus seulement mesurée par le PIB mais intègre son empreinte carbone, alors l’intensité des échanges avec les pays étrangers et notamment les plus éloignés devient un sujet sérieux. Et comme l’écologie est un sujet sérieux, il est finalement bon que les hommes politiques soient concernés par ce déficit commercial. Si économiquement les relocalisations ne paraissent pas justifiées, écologiquement elles le sont davantage.
¹Le nombre d’entreprises exportatrices françaises est passé de 116 033 en 2008 à 128 323 en 2020 et cela n’a pas empêché le déficit commercial de se dégrader.
Catégories
Articles récents
Point de vue – En haute altitude
Il y a un an, je me demandais dans ces colonnes si l’atterrissage en douceur ne serait pas plutôt un décollage. Douze mois et +30% plus tard sur le S&P500, force est de constater que le marché a bien décollé, voire est sur orbite. Se pose désormais la question de la suite. Depuis un […]
Point de vue – Je vous ai apporté des actions, parce que les fleurs c’est périssable
J’aurai pu apporter des bonbons, mais récemment la tendance est plutôt aux actions malgré l’approche inéluctable des fêtes de fin d’année et la nervosité des marchés. Explications de Thomas Fonsegrive. Sur les marchés européens le début du 4ème trimestre a été marqué par une certaine nervosité au moment de la publication des résultats. Justifiées ou […]